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Selon Daniel Dennett, la conscience n’est rien d’autre qu’un phénomène naturel, qu’il convient de démystifier et d’expliquer. Consciencieusement...
Comment convient-il d’aborder le problème de la conscience ?
Un peu comme on aborde la magie, telle qu’elle se pratique dans les rues en Inde. Il y a des gens qui s’en vont en croyant avoir assisté à un miracle. Ils admettent que des choses surnaturelles se passent : c’est la position du dualisme cartésien, qui considérait l’âme comme une substance à part, d’origine divine et miraculeuse, capable de s’extraire de la matière et de la contempler. Et puis il y a un point de vue plus sensé qui consiste à se dire « il y a un truc », et ce truc produit une illusion. Je considère, quant à moi, que la conscience est une boîte pleine de tours de magie, et que quand nous connaîtrons tous ces tours, nous aurons expliqué ce qu’est la conscience. C’est plutôt démystifiant comme point de vue, ça ne plaît pas à tout le monde, mais c’est conforme à ma conviction que la conscience est un phénomène naturel qui doit être expliqué naturellement.
Puisque nous sommes tous conscients, nous sommes tous magiciens en quelque sorte. Pourquoi ne pas chercher la réponse en nous-mêmes ?
Ce n’est pas si simple. Certains de nos états intérieurs peuvent être exprimés sans être descriptibles. Par exemple, si je dis : « J’ai un truc avec les blondes », je ne sais pas ce qu’est ce « truc » dans ma tête. Je sais seulement que quand je vois une blonde, cela me fait certains effets : émotions, sensations physiques, etc. Passons. C’est ainsi qu’on peut se représenter le côté ineffable de la conscience : un phénomène dont je peux connaître les effets, sans être capable de le décrire, sans pouvoir dire en quoi il consiste. Beaucoup de phénomènes mentaux sont ainsi faits que nous pouvons décrire leurs effets, sans avoir de mots pour les exprimer. En fait, nous n’avons pas d’expérience intérieure de la conscience et c’est seulement d’un point de vue extérieur que nous pouvons nous interroger sur elle.
Certains philosophes défendent pourtant cette idée d’expérience intérieure. Ils prétendent même tenter de la comprendre en imaginant ce que cela fait d’être un « zombie », c’est-à-dire un être présentant des comportements humains, mais sans avoir conscience de lui-même.
Oui, on en discute. Si vraiment il existait de tels êtres, avec les mêmes capacités de mémoire et d’intelligence, je ne vois pas pourquoi on devrait leur nier la conscience : ce seraient des êtres humains comme nous. Mais les seuls zombies que l’on connaisse sont ceux du vaudou haïtien, et ce ne sont pas du tout des personnages agréables à fréquenter. Pour moi, c’est une fiction sans intérêt.
À l’inverse, des observations de laboratoire, comme celles de Benjamin Libet*, tendent à montrer que ce que nous prenons pour des décisions conscientes sont en fait déclenchées de manière anticipée et inconsciente par notre cerveau. Cela ferait de l’activité consciente un phénomène très secondaire et négligeable.
Ces expériences sont très particulières. Elles portent sur des décisions sans délibération préalable, et surtout sans intention particulière, comme plier le doigt, mais pour rien, sans but autre que réaliser une expérience. Ce n’est pas ainsi qu’ordinairement nous prenons des décisions. Supposez que vous ayez un groupe de scientifiques et de journalistes qui étudient le Congrès américain. Une semaine avant le vote sur une loi importante, ce groupe annonce le résultat probable du vote, et cette prédiction s’avère exacte. Donc la question est : quand cette loi a-t-elle été décidée ? Lors du scrutin, ou bien lors de la prédiction ? On peut comparer cette situation à celle de la volonté humaine telle que décrite par les expériences de Libet. Le fait qu’une activité cérébrale intervienne avant d’être consciente ne veut pas dire que la volonté n’est qu’un épiphénomène superficiel qui se contente d’enregistrer un fait déjà établi auparavant. Ce n’est pas parce que nous possédons un potentiel de prédiction que la vraie décision n’intervient pas plus tard, de manière consciente. Dans le cas du Parlement, s’il n’y avait pas ce vote final, la prédiction ne vaudrait tout simplement rien. Dans le cas d’une décision individuelle, si la conscience n’intervenait pas, l’émulation anticipée du cerveau ne signifierait rien. La conscience reste un fait intéressant à étudier.
Par quels moyens expérimentaux, selon vous ?
La démarche qui est la mienne est celle de l’hétérophénoménologie. Un mot un peu compliqué pour dire que l’on tient compte de ce qui se présente au sujet pensant, mais qu’on l’examine du point de vue d’un tiers. Par exemple, on demande à quelqu’un d’accomplir une tâche telle que pousser sur un bouton, prononcer certains mots, ou piloter un vaisseau spatial sur un écran de jeu vidéo, et on enregistre ses performances, mais aussi ce que le sujet pense sincèrement avoir fait, et pourquoi il l’a fait. Parfois cela coïncide avec les résultats, parfois non. Notre point de vue sur la question consiste à se demander comment les gens se forment des croyances sur la situation, et quelle est la cause de leurs croyances. Et si nous trouvons cette cause, nous expliquons le phénomène.
Tout cela donne-t-il une idée de modèle pour décrire la conscience ?
Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est que neurologiquement, ce que nous nommons conscience n’obéit pas à une cause unique, et ne correspond pas à une fonction unique. C’est le nom que nous donnons à une multitude de manifestations de notre activité cérébrale et que nous unifions en en faisant le récit. Nous avons le sentiment qu’il y a un auteur de nos pensées à l’intérieur de nous, un « moi » qui pense. Mais il s’agit juste d’une suite d’événements électrochimiques que nous commentons pour nous-même ou pour les autres. Notre « moi » n’est pas un chef d’orchestre, mais plutôt un auditeur plongé au sein de l’orchestre qui tenterait, avec quelques millièmes de secondes de retard, de fredonner la mélodie qu’il arrive à reconstituer. Mais cela ne veut pas dire que ce flux de conscience soit sans effet : il influe sur nos actes et sur ce que nous faisons faire aux autres.
Finalement, la conscience est bien une sorte d’illusion ?
Oui, j’ai parlé plus haut de « tours de magie », et les tours de magie produisent bien une illusion. Mais c’est une illusion bénigne, inoffensive, et peut-être même utile. Mais utile à quoi ? D’un point de vue évolutionniste, on a longtemps pensé que tout ce qui existe devait s’expliquer en termes d’avantages sélectifs. On a donc cherché à comprendre quelle pouvait être la fonction de la musique, du langage, de la bipédie, de l’humour… On a spéculé sur l’avantage que ces compétences pouvaient apporter. On s’est posé aussi la même question à propos de la conscience. Aujourd’hui, on admet que des organes peuvent préexister à la fonction. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’est pas indispensable de trouver un avantage sélectif particulier à la conscience pour justifier son existence : ce n’est peut-être qu’un sous-produit d’une activité cérébrale complexe, une habitude non nocive, utile peut-être, mais à quoi exactement ? C’est difficile à dire de manière générale. •
LIEN VERS L 'ARTICLE : http://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/daniel-dennett-la-conscience-est-une-sorte-d-illusion_sh_34111